Au cur de nombre de drames et comédies du répertoire, le couple a déjà été ausculté sous tous les angles. Loin de vouloir révolutionner un thème universel et galvaudé, "Jardins intérieurs" entend bien au contraire charger un peu plus la bête... et la faire plier. Marie et Harry. Un couple. Après 10 années de vie commune et un enfant, Marie décide de faire le bilan. Les souvenirs d’une vieille étincelle sont alors mis en balance avec la flamme éteinte du quotidien. Déambulant sur cette terre brûlée, le couple se déchire, s’affronte, se ment ; rarement le couple s’aime. Et se joue devant nos yeux, effarés ou amusés, l’autopsie d’une passion défunte. La dualité qui habite Marie est personnifiée par sa voix intérieure, son jardin secret. Véritable troisième personnage de la pièce, cette voix est utilisée non en tant qu’artifice scénique mais bien comme fil rouge venant introduire, rythmer et commenter le douloureux constat d’échec. Notons également l’importance de la bande-son. Loin d’adoucir les mœurs, la musique les met en relief ; mieux, elle accompagne le fil du récit de manière allégorique, notre couple-cobaye décidant de changer de vie comme on change de disque. Une question de goût, d’attente, d’envie, de mode, de culture... Les névroses font tant pleurer qu’à la fin, elles font rire. Jusqu’où ? A partir de quel moment le drame lyrique vire t’il à l’opérette ? A moins que ce ne soit le vaudeville qui ne tourne à la tragédie ? "Jardins intérieurs" est une pièce de théâtre qui relève dans le fond du solfège plus que de la symphonie. A l’écoute du livret, la légèreté de l’interprétation renvoie constamment à la gravité de la partition. Admettons-le, oui, le couple a bon dos ! Qu’elles qu’en soient les variations, la ritournelle reste la même depuis la nuit des temps. Peut-on seulement tenter de changer le disque ; et espérer tomber sur un air entêtant.
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Harry : "Marie, voilà un an que je ne peux plus la toucher. Tous les soirs, elle me joue la même petite musique de nuit. Alors, cette fois, j’ai retourné le disque. Ce n’est pas un crime !" Harry ? Le mari de Marie. La quarantaine heureuse et satisfaite. Un homme fat. Il fait partie de ceux dont on dit qu’ils ont "réussi". Façade sociale, l’éternel sourire de circonstance et la tête froide. Confronté à la violence de celle qu’il connaît sur le bout des doigts - comme on maîtrise un instrument de musique - Harry peut-il vraiment se sentir déstabilisé ? Le masque va-t-il tomber, révéler des fêlures ou n’incarne-t-il que le vide et le néant ? Entre Marie et Harry, la guerre est déclarée. Guerre des nerfs ; guerre des sexes. Plongées dans la mise en abîme des egos, les névroses éclatent au grand jour. Car l’analyse intime s’exprime dans les oppositions. De styles. D’interprétations. De désirs. Rien ne va plus ! Faites vos jeux ! Oui, dans ces jardins intérieurs, tout est question de jeu. On rit des obsessions de l’autre. On s’amuse à lui faire peur. Le môme devient otage. La mort rôde, la menace est permanente. Jusqu’où ira ce méchant déballage, si excessif qu’il en devient drolatique ? Effectivement - évidemment devrait-on dire - l’humour n’est jamais absent de ce pur exercice de style. Les dialogues sont châtiés, jouent sur le sens et les sonorités, sur les mots, imposent un faux rythme au duel. Marie et Harry entament devant nous une danse meurtrie et meurtrière. Une danse inachevée. Le slow a cédé la place à un tango. Moins de frottements hypocrites mais une gestuelle de ruptures.
Marie : "Changer de disque, d’accord, mais encore faut-il savoir celui que l’on veut écouter. Et je n’ai pas envie de choisir." Ultime pied de nez, la scène et la vie se mélangent et finissent par se confondre. C’est ouvertement le théâtre de la vie. Le couple n’est que la réplique à grandeur humaine des relations ambiguës entre un comédien et son coach. Quel rôle Marie peut-elle alors interpréter ? Doit-elle accepter jusqu’au bout la mise en scène de sa propre existence imposée par Harry ? Il n’est jamais trop tard pour changer le disque de nos rêves. Surtout au théâtre. N’est-ce pas dans le dérisoire que se manifeste l’essentiel ? Marie et Harry : (en chur) "On est bien tout seul. C’est lorsque l’on est deux qu’on déprime..."
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